Les “toplaıcılar” d’Istanbul

  • © Pascal Garret/MuCEM - Istanbul - mai 2016

Cette campagne photographique a débuté avec la géographe Bénédicte Florin en juillet 2014 auprès des récupérateurs (toplaıcılar) et des patrons de “depo” (dépôts de stockage, lieux de tri, parfois mécanisés, semi-grossistes formels ou informels) de la capitale économique turque, Istanbul. Nous y sommes retournés en juillet 2015 et avril/mai 2016 dans le cadre du projet d’exposition programmé au Mucem (Marseille) en 2017 sur le thème de “Vies d’Ordures”.

A Istanbul, les “depos” sont des lieux de tri et de stockage, parfois mécanisés, avec des semi-grossistes et des grossistes formels ou informels. Notre travail s’est concentré sur la rive européenne dans deux des principaux quartiers de récupérateurs et “depos” : Suleymaniye (vieille ville, environ 400 récupérateurs et 50 “depos”) et Tarlabaçı (Beyoğlu, nombre de récupérateurs inconnu, sans doute une trentaine de “depos”).

Bien que très centraux et situés à proximité des zones les plus touristiques d’Istanbul, ces deux quartiers sont installés dans des “trous” et “friches” dégradés de la ville, résultat d’une stratégie d’abandon volontaire de la part des autorités politiques locales pour mieux y justifier de futurs projets de rénovation urbaine. Il existe un autre grand quartier de récupération et de “depos” sur la rive asiatique.

Tous les jours, ces récupérateurs effectuent quatre à cinq tournées de collecte de deux heures chacune dans les quartiers centraux d’Istanbul, avant de trier et revendre les matériaux récoltés au grossiste informel dont il dépendent.

Les “toplaıcılar” (déclinaison du verbe turc “récupérer”) stanbouliotes fouillent dans les poubelles et conteneurs des rues pour y collecter tous les objets recyclables et réutilisables qui auraient, sans ce travail de ramassage, achevé leur trajectoire dans l’une des décharges de la métropole. Ils donnent ainsi une autre vie à ces matières qui, loin d’être des rebuts à leur yeux, ont une valeur précise et constituent pour eux une ressource essentielle : leur gagne-pain.

Ces récupérateurs sont pourtant non reconnus et quasi invisibles dans la ville car, comme ils le disent eux-mêmes, ils exercent “le dernier des métiers“. Les conflits avec les automobilistes et la police sont fréquents, notamment depuis qu’un décret leur interdit de collecter dans les poubelles. Certains squattent des ruines sans eau ni électricité, mais la plupart dorment dans des “chambres de célibataires”, aménagées par les grossistes, où chacun dispose d’une place exigüe et où la vie entre-soi domine les relations sociales.

S’ils restent très présents dans l’espace public, le rôle des “toplaıcılar” dans la ville est souvent remis en cause, expliquant leur attitude discrète durant leurs tournées. Ainsi les récupérateurs se déplacent très vite et ne s’arrêtent que le temps nécessaire devant les conteneurs de déchets pour y collecter cartons, plastiques, métaux ou objets intéressants.

Voir le parcours de Yunus, jeune “toplaıcılı” que j’ai suivi pendant les deux heures de l’une ses tournées de récupération dans la ville d’Istanbul…